Alstom dans le viseur de General Electric
Une décennie après le sauvetage d’Alstom par l’État français, l’entreprise du CAC 40 entrevoit son démantèlement. Présente dans les secteurs de l’énergie (trois quarts de son chiffre d’affaires) et des transports (le quart restant), Alstom subit la concurrence des géants mondiaux de l’énergie. Le PDG d’Alstom a annoncé qu’il souhaitait revendre la branche « énergie » de la firme (Alstom Power et Alstom Grid) pour recentrer les activités d’Alstom sur son activité ferroviaire. En effet, Alstom fabrique les TGV et est considérée, dans ce domaine, comme un leader mondial.
Lundi 28 avril 2014, François Hollande recevait à l’Élysée les présidents directeurs-généraux d’Alstom, de Bouygues (actionnaire majoritaire d’Alstom à hauteur de 29% depuis la revente des parts de l’État français), de General Electric et de Siemens. Cinq acteurs dont quatre conglomérats industriels et un État. Il s’agit d’une situation géoéconomique dont l’enjeu est le rachat de la branche « énergie » du groupe Alstom. Deux concurrents sont en lice pour cette opération : l’américain General Electric et l’allemand Siemens. General Electric possède une longueur d’avance sur Siemens puisqu’il a proposé une offre ferme de 12,35 milliards d’euros pour le rachat. Siemens est intervenu plus tardivement dans les négociations en proposant une déclaration d’intérêt « portant sur une opération alternative » (communiqué de presse d’Alstom du 30/04/14). Il s’agirait du rachat de la branche « énergie » d’Alstom pour 11 milliards d’euros et le transfert des activités transports (dont les métros) de Siemens au groupe français qui deviendrait alors actionnaire à 19% de ces activités ferroviaires.
Dans cette course au rachat, les protagonistes ne disposent pas des mêmes avantages. Ces grands groupes possèdent des poids inégaux en termes de chiffre d’affaire. Alstom fait figure de nain économique (chiffre d’affaires de 20 milliards d’euros dont 14 pour le secteur énergétique) face aux mastodontes Siemens (83 milliards d’euros dont 29 dans l’énergie) et General Electric (108 milliards d’euros dont 35 dans l’énergie).
Au cœur de cette bataille géoéconomique pour l’acquisition des installations, du portefeuille clients et des technologies du groupe Alstom, il existe une compétition d’intérêts autour du marché stratégique de l’énergie. Quels sont les intérêts de chacun ?
Alstom n’est pas suffisamment compétitive dans le secteur énergétique (pressions sur le marché européen de l’énergie, croissance de concurrents notamment asiatiques qui s’appuient sur un marché intérieur titanesque). Par exemple, Alstom est à la 448ème place du classement 2013 de Fortune Global 500 (les 500 plus grandes entreprises du monde en termes de chiffre d’affaires) alors que le géant chinois de l’électricité State Grid est 7ème avec un chiffre d’affaire de 215 milliards d’euros). Alstom souhaite recentrer ses activités sur son secteur ferroviaire. Elle est un des leaders mondiaux dans ce secteur et le rachat de sa branche « énergie » lui permettrait d’assainir ses finances et de disposer d’un gain de compétitivité dans son domaine historique de prédilection : le transport ferroviaire.
General Electric souhaite racheter la branche « énergie » d’Alstom pour compléter sa palette technologique (hydroélectricité notamment), garnir davantage son portefeuille clients et conquérir le marché européen de l’énergie.
Siemens souhaite acquérir Alstom Power et Alstom Grid pour renforcer son secteur énergétique, déjà puissant en Europe, recentrer son activité autour de l’énergie quitte à léguer une partie de son secteur ferroviaire à Alstom, leader dans ce domaine.
L’État français aimerait qu’Alstom demeure une entreprise européenne. C’est pourquoi il soutient la déclaration d’intérêt de l’allemand Siemens. Cela va dans le sens d’une plus grande cohésion du couple franco-allemand, moteur de l’Union européenne (historiquement, la construction européenne est née de la CECA, l’exemple même de la coopération énergétique et industrielle franco-allemande). En outre, Alstom est le symbole, le fleuron de l’industrie française (TGV). Or, son démantèlement et son adossement à un conglomérat américain représenteraient la désindustrialisation française. Un signe de faiblesse sur la scène internationale et un aveu d’impuissance face aux électeurs français qui ont élu François Hollande pour relever le défi de l’emploi et de la réindustrialisation en France.
Seulement, les caisses de l’État français sont vides ce qui limite sa marge de manœuvre. François Hollande s’en remet alors à un dirigisme de discours, un interventionnisme étatique traditionnel en France (PepsiCo/Danone en 2005, Mittal/Arcelor en 2009), symbolisé par le porte-étendard du made in France Arnaud Montebourg. Une question demeure : dans un espace économique rendu plus fluide par la mondialisation, l’État, chevalier géopolitique sans repères, possède-t-il les armes pour affronter les firmes transnationales, véritables colosses économiques ?